Accueil climat Comment satisfaire nos besoins en électricité, et plus largement en énergie, tout en assurant la sortie de notre dépendance aux énergies fossiles ?

Comment satisfaire nos besoins en électricité, et plus largement en énergie, tout en assurant la sortie de notre dépendance aux énergies fossiles ?

 

Contribution déposée par Denis LAURENT (1)

 au débat public organisé par la CNDP, sur un programme proposé par EDF de 6 réacteurs nucléaires de type "EPR2", dont les deux premiers seraient situés à Penly, en Normandie.
Le débat s’est tenu du 27 octobre 2022 au 27 février 2023

Avis opposé à la construction de toute nouvelle centrale nucléaire.

La décision de développer le parc électronucléaire serait une erreur dans tous les domaines évoqués dans cette note :

  • Retard à la substitution aux énergies fossiles, possible avec les ENR,
  • Retard dans la mise en œuvre d’une sobriété de production et de consommation,
  • Obstacle financier au développement majeur et dans les délais les plus brefs des ENR,
  • Dépendance accrue à quelques pays étrangers, rendant notre production électronucléaire très dépendante des conditions géopolitiques,
  • Risque d’exposition à une attaque ennemie,
  • Risque de mise à mort de la biodiversité par hausse de la température de l’eau de rivière,
  • Risque d’insuffisance de débit de rivière pour maintenir le refroidissement,
  • Risque de cataclysme naturel dont les conséquences provoqueraient des situations hors de contrôle,
  • Risque de non-maitrise des déchets nucléaires au-delà de l’imaginaire de l’homme (la période préhistorique étant bien plus proche de nous).

 

Préalable concernant le réchauffement climatique :

Le réchauffement climatique est plus rapide et plus intense que les prévisions du GIEC. Les tendances optimistes tablent sur a minima 2,5°C fin de siècle en moyenne mondiale, le scénario probable se situant à au moins 4°C, corroboré par le ministre Christophe Béchu.

En France, le réchauffement climatique est 50% plus important que la moyenne mondiale, atteignant déjà 1,8°C en moyenne, et le double en zone alpine.

L’urgence de réduction des émissions de gaz à effet de serre :

Par rapport au réchauffement planétaire, chaque pays, chaque collectivité, chaque entreprise, chaque citoyen est responsable de la réduction de sa consommation d’énergies fossiles, car l’effet marginal de toute réduction a son importance, d’autant plus que l’effet est cumulé dans un temps long, aussi bien pour le carbone que pour le méthane.

La réduction de nos émissions en GES doit être la plus immédiate et la plus forte possible, tout délai supplémentaire induisant un effet cumulatif sur le réchauffement. Le GIEC considère que différents points de bascule ont déjà été franchis comme la fonte des glaces et l’élévation des océans, la fonte du permafrost et le dégagement de méthane, l’acidification des océans et la survie des coraux, …

Le réch auffement planétaire étant le facteur le plus coûteux qui puisse être pour les sociétés humaines en termes de conséquences des cataclysmes, et en termes de mises en œuvre de moyens d’adaptation, le délai d’efficacité de tout investissement pour réduire l’émission de GES devient le critère prioritaire du choix énergétique.

  • En 2022, le GIEC a indiqué que des décisions de rupture devaient être prises dans les 3 années pour ne pas franchir un grand nombre de points de bascule, ne permettant plus aucun contrôle de la situation climatique. C’est donc maintenant qu’il faut faire les bons choix pour une réduction drastique d’émissions dans les plus brefs délais, il serait trop tard ensuite pour limiter le réchauffement en dessous de 4,5°C en moyenne mondiale en 2100, soit 7°C en France, température insupportable et cataclysmes gigantesques et fréquents garantis.

 

Les différents scénariis ADEME et RTE en ENR pour réduire les émissions carbonées :

L’ADEME et RTE proposent tous les deux des scénarii sans et avec développement de l’électricité nucléaire, signifiant que différents choix sont possibles.

Les scénarii basés sur le seul développement des énergies renouvelables exigent des efforts de sobriété et de changements de comportement importants à toutes les échelles de notre organisation sociale. De ce fait, ils sont les plus cohérents par rapport à la limitation des ressources naturelles disponibles sur notre planète (autres que les énergies fossiles).

Ils exigent, outre le maintien en fonctionnement des centrales nucléaires existantes avec prolongation de leur durée de vie jusque 2050, voire 2060, un effort d’investissement immédiat et ambitieux en ENR.

RTE considère que les énergies renouvelables envisagées sont mâtures et compétitives en prix, sachant que l’éolien en mer est très prometteur.

L’intermittence de production se gère par différents moyens présentés dans les scénarii, notamment grâce à la production de centrales thermiques décarbonées et l’utilisation de l’hydrogène.

L’investissement en ENR nécessite un délai de 5 années avant la production d’énergie renouvelable, délai relativement court par rapport à d’autres natures d’énergie non carbonée.

  • Dès maintenant, une concentration de l’effort financier pour investir en ENR produirait ses effets à partir de la 5ème année. Ainsi, en se situant en 2040, ce sont 12 ans d’investissement cumulé qui serait déjà en production, se substituant d’autant à une électricité d’origine fossile.

RTE chiffre à 70 Mds€ l’investissement nécessaire d’ici 2050.

Les scenarii sans développement du nucléaire exigent la mise en œuvre dès maintenant de la sobriété chez tous les acteurs économiques : les économies de consommation pourraient se cumuler d’ici 2040, par l’évolution rapide de notre mode de vie, et la fin de la surconsommation, du gaspillage, de l’alimentation carnée etc…

Le changement climatique est rapide et impactant, et le sera toujours plus : l’exigence de la transparence et de la pédagogie doit permettre d’entrer rapidement dans la sobriété énergétique.

 

Les différents scénarii RTE avec le développement de l’électricité d’origine nucléaire pour réduire les émissions carbonées :

Le délai de construction de nouvelles centrales nucléaires pour réduire les émissions carbonées est a minima de 12 ans à compter de ce jour, selon la fourchette optimiste donnée par EDF, qui parle aussi de 15 ans.

Connaissant tous les retards pris par l’EPR de Flamanville, dont l’ouverture se fera au mieux en 2024, soit 13 ans de retard, et sachant que les EPR2 projetés ne seront pas construits à l’identique des EPR - toujours en attente d’ouverture et de bon fonctionnement – il est plus sérieux de prévoir une exploitation industrielle des nouveaux EPR2 de Penly à partir de 2040.

  • Cette question de délai est essentielle car la substitution des énergies fossiles par d’autres énergies est une urgence absolue : les émissions de carbone et de méthane se cumulent dans l’atmosphère, le réchauffement climatique est exponentiel, et c’est maintenant qu’il faut agir. Choisir de développer la filière nucléaire, c’est empêcher cette substitution pendant les 15 prochaines années - d’ici 2040 : c’est criminel.

Remarquons également que l’atteinte des objectifs européens en 2030 correspondant à 55% de réduction des GES ne pourra être possible par une nouvelle électricité nucléaire.

Par ailleurs, le choix du lancement de 3 EPR2 aurait pour conséquence de mobiliser des financements très lourds, alors indisponibles pour le développement des investissements dans les ENR : ainsi, le montant nécessaire pour les ENR d’ici 2050, soit 70Mds€, est-il soutenable simultanément à l’investissement pour un nouveau développement du parc nucléaire, dont le coût risque de doubler par rapport aux prévisions (selon toutes les expériences passées…Flamanville = coût supérieur à 3 fois et ce n’est pas fini ! ) ?

Le dernier rapport de la Cour des Comptes de 2020 note : « Par ailleurs, on ne peut pas établir avec un degré raisonnable de certitude que les économies de construction de futurs EPR2 par rapport au coût de construction d’EPR de type Flamanville se matérialiseront. » L’objectif d’un coût de 46 Mds€ pour 3 paires d’EPR2 est donc très loin d’être garanti alors que le seul EPR de Flamanville va dépasser 20 Mds€. Enfin, la Cour des Comptes établit déjà un coût minimal du kw/h produit à Flamanville de 110 à 120€, nettement supérieur au coût du kw/h des ENR…

Adoptons l’un des scenarii de RTE qui propose le scénario M23, lequel permet d’atteindre une électricité 100% renouvelable à l’horizon 2060 – sans construction de nouveaux réacteurs nucléaires, les existants étant menés jusqu’à une fin de vie de 60 ans, avec le maintien d’un haut niveau de sécurité, le développement de solutions de gestion de l’intermittence à base de H2 vert – ceci pour une estimation de surcoût faible (15%) par rapport à la solution de construction de 14 nouveaux EPR (maximum envisagé par la filière nucléaire), solution pour laquelle le coût des intérêts intercalaires n’est pas pris en compte alors qu’ils peuvent représenter les 15% d’écart en question !

En complément, précisons qu’entre 2009 et 2021, les coûts du nucléaire ont augmenté de 36 % (et de 3 points par rapport à 2020), tandis que ceux du solaire et de l’éolien ont respectivement baissé de 90 % et de 72 %. C’est dire que la production électronucléaire issue de nouvelles centrales ne serait pas plus économique que celle des ENR, voire bien plus coûteuse, compte tenu des différentes natures de coûts, d’autant plus avec le coût de démantèlement non maîtrisé à ce jour.

  • Avis par rapport au critère principal de l’urgence climatique : en conclusion, la relance de la construction de nouvelles centrales n’est en aucun cas la solution au défi climatique et à la substitution des énergies carbonées principalement pour des questions de délai de réalisation, mais aussi de coûts non maîtrisés qui feraient obstacle à l’importance des investissements nécessaires pour 100% ENR en 2060.

 

Cette décision d’écarter toute relance du parc électronucléaire doit être confortée par tous les risques majeurs qu’elle induirait, notamment :

 

Le risque majeur du terrorisme ou du bombardement sur une centrale nucléaire :

Les centrales nucléaires peuvent représenter un objectif majeur pour un ennemi qui cherche la destruction du pays. Or, aucune protection suffisante n’existe à présent pour se garantir du risque d’attaque terroriste ou de la part d’un pays ennemi. Poursuivre le développement de notre parc électronucléaire correspond à prolonger le risque d’attaque sur du long terme, alors qu’à l’inverse, ce risque s’éteindra avec la fin de l’exploitation en 2060 des seules centrales existantes.

Aucun autre système de production d’énergie ne présente de tels risques.

La situation géopolitique depuis l’agression russe du 24 février 2022 doit nous conduire à envisager une telle possibilité. Les conséquences d’une attaque réussie doivent nous inciter à réduire ce risque au maximum en ne poursuivant pas l’exploitation de centrales au-delà de l’indispensable quand d’autres solutions existent…

 

Le risque lié à des déchets non maîtrisés, avec risque de propagation et de détournement:

Depuis que la filière nucléaire est en exploitation, les déchets de différentes natures s’accumulent sans qu’une quelconque solution mette fin à la radioactivité : la durée de vie des éléments radioactifs nous fait courir des risques disproportionnés à l’échelle humaine. Jamais dans son histoire passée, l’homme n’a généré une activité industrielle sans pouvoir en contrôler les conséquences pendant des millénaires.

Il est vrai que nous sommes dorénavant confrontés au dérèglement climatique, à l’effondrement de la biodiversité et à la pollution chimique systémique de l’ensemble du vivant, mettant en cause l’avenir de l’espèce humaine, entre autres espèces…

Les déchets nucléaires sont un risque majeur dont on ne peut garantir le contrôle dans les siècles et millénaires à venir. Evitons d’ajouter des risques aux risques !

 

Le risque lié à la sécheresse et au réchauffement climatique des rivières

L’année 2022 aura permis de prendre conscience que, même en France, l’eau peut manquer du fait du dérèglement climatique. Or, les centrales nucléaires sont dépendantes de circuits hydrauliques permettant de refroidir leur cœur. Elles consomment, en période d’étiage tel que connu jusqu’à présent, jusqu’à 20% de l’eau disponible…

La diminution des débits des rivières, du fait de l’abaissement des nappes et de la sécheresse, et la hausse de la température naturelle de l’eau en situation de canicules prolongées, telle que prévues dans tous les scénarii de réchauffement, ont pour conséquence l’impossibilité de maintenir une température de rivière inférieure à 25°C si l’eau est utilisée pour le refroidissement des centrales. Or, ce niveau de température est celui au-delà duquel la biodiversité aquatique est anéantie.

Le projet de construction de nouvelles centrales prévoit des sites en bord de rivière, pour leur refroidissement. Sauf à condamner toute biodiversité, la situation climatique empêche ce refroidissement, puisque celui-ci conduira à un dépassement de la température de la rivière au-delà de 25°C, en condition de canicule…

Il n’y a pas de solution de substitution à la biodiversité, indispensable à l’homme. Il y a une alternative possible à la construction de nouvelles centrales : aucune centrale ne doit être dorénavant construite en bord de rivière.

Et comme déjà évoqué, l’eau devient un bien rare, et les scenarii climatiques induisent une diminution de la disponibilité de la ressource en eau, et des étiages sévères voire des assecs des rivières ! Comment imaginer l’installation d’une centrale nucléaire dont on ne peut garantir le refroidissement durant ses 50 ans d’exploitation, générant son arrêt pendant les longues et de plus en plus fréquentes canicules estivales ?

 

Le risque des cataclysmes naturels et ceux liés au réchauffement climatique :

Quelle que soit la situation géographique des nouvelles centrales, le risque de cataclysmes existe car on ne peut plus imaginer que la France en soit protégée : le dérèglement climatique majeur qui va s’intensifier avec la hausse des températures au cours du siècle va provoquer des phénomènes naturels hors de contrôle, que ce soit en termes d’élévation du niveau des mers, de tsunami, de vitesse des vents (le dernier cyclone fait état de 280 km/h…).

Avec +4,5°C de hausse moyenne de température fin de siècle, soit des hausses de 6, voire 8°C lors de périodes caniculaires, comment imaginer d’avoir tout sécurisé et l’impossibilité d’accident nucléaire ?

Par ailleurs, le risque sismique existe : en 2019, la France a été touchée par un séisme de magnitude 5,4 alors que les centrales ne sont pas prévues pour ce niveau de magnitude…

 

L’absence d’indépendance énergétique du parc électronucléaire :

On a découvert que fin novembre 2022, EDF importait de l’uranium naturel de Russie ! Que seule la Russie était capable de fabriquer de l’uranium de retraitement enrichi (URE), livré dans la même livraison de fin novembre, URE apparemment utilisé dans les centrales françaises. EDF refuse de communiquer sur ces informations, comme sur ses réserves.

L’uranium est également importé du Kazakstan, et du Niger, 2 pays dont la stabilité politique ne peut être garantie, comme nous le laissent à penser nos « amis », le Mali et le Burkina-Faso…

L’industrie nucléaire est totalement dépendante de pays étrangers dont on ne peut garantir ni la stabilité, ni la proximité politique, l’exemple de la Russie étant la plus mauvaise des références !

 

(1) ancien élu municipal de la ville de Saint-Maur des Fossés, membre du Comité de Bassin Seine-Normandie