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Jeudi 20 avril 2023 : URBANISME DE QUALITÉ ET RESPECT DE LA BIODIVERSITÉ

Avec Frédéric BÉRERD directeur de l’urbanisme règlementaire à la ville de Villeurbanne depuis 2016 (chargé des autorisations du droit des sols, de la qualité des projets d’urbanisme opérationnels, de l’accessibilité PMR pour les ERP et des enseignes commerciales, de la police de l’urbanisme). Auparavant en direction départementale des territoires sur différents postes : Responsable contentieux de l’urbanisme, association de l’Etat sur les Plans locaux d’urbanisme (PLU) et les cartes communales, ....

 

Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous. (Victor Hugo, "Guerre aux démolisseurs", Revue des deux mondes, 1° mars 1832)

Il faudrait aujourd'hui ne rien retirer de cette citation, mais les défis climatiques et de biodiversité nous obligent à une prospective urbaine innovante qui devrait être le fil directeur de la règlementation d'urbanisme.

La ville de Saint-Maur-des-Fossés, inclue dans le territoire Paris Est Marne et Bois, est concernée par le nouveau Plan Local d'Urbanisme Intercommunal (PLUI), soumis prochainement à Enquête d'Utilité Publique. La Métropole de Lyon a adopté un PLUI ambitieux et la ville de Villeurbanne (Rhône) met en œuvre une démarche de concertation avec les opérateurs immobiliers pour dépasser la stricte règlementation avec des solutions fondées sur la nature et incluant qualité architecturale, paysagère, d'usage (confort et bien-être dans les logements) et respect de la biodiversité.

Q : En s’inspirant de Villeurbanne, comment aller plus loin que le projet de PLUI soumis par Paris Est Marne et Bois(PEMB) ?Comment promouvoir qualité de l’urbanisme, de l’habitat et le respect de la biodiversité ?

Frédéric Bérerd insiste sur les 2 piliers de la démarche de Villeurbanne : le PLUI c’est à dire la base réglementaire, et la mise en œuvre du PLUI, 2eme étape indispensable pour réduire le fossé qui sépare trop souvent ce qu’on a prévu de ce qui est réalisé.Ces deux piliers assurent la qualité des projets en amont et en aval grâce à une « police de l’urbanisme » qui implique d’aller sur le terrain.

Le contexte de Villeurbanne (153 000 habitants) est bien différent de la petite couronne francilienne. Ville centre de la métropole avec Lyon. Villeurbanne se distingue notamment par quelques gratte-ciels de logements sociaux exemplaires, bénéficiant de balcons en terrasse,dans un quartier vert fortement planté d’arbres : ces logements sociaux sont très recherchés depuis toujours (premières constructions au cours des années 1920-1930, d’autres sont même à venir). Pour la ville c’est un modèle inspirant : l’objectif est bien de construire au centre de l’agglomération pour éviter la périurbanisation, mais avec un urbanisme de qualité et une « densité acceptable » pour que « les gens restent ».

La base réglementaire c’est le PLUI tel que défini par le code de l’urbanisme avec des évolutions notables récentes : la loi SRU qui demande désormais de justifier les choix d’aménagement et d’urbanisme, et la loi Climat (2022) qui impose de viser le zéro artificialisation nette (ZAN) en précisant que, pour les 10 prochaines années, il faut réduire de 50% les surfaces artificialisées. Ce chiffrage devrait permettre d’obtenir enfin des résultats. A terme, la loi prévoit d’arriver à zéro artificialisation nette, ce qui parait ambitieux si l’on doit accueillir une croissance démographique.

La qualité et la biodiversité doivent être abordées dans les différentes parties du PLUI : le rapport de présentation (avec diagnostic), le Projet d’Aménagement et de Développement Durable (PADD) qui expose la politique retenue, mais aussi, ce qui va s’appliquer, le zonage et le règlement. Les Orientations d’Aménagement et de Programmation (OAP) dessinent le projet pour certains secteurs, ou donnent des préconisations pour certaines thématiques.

Concernant la biodiversité, certains espaces peuvent être protégés

- Les espaces boisés classés (EBC, qui peuvent concerner un arbre isolé) : protection la plus forte du code de l’urbanisme, on ne peut même pas créer un cheminement.

- Les espaces végétalisés à valoriser (EVV, dénomination propre à chaque territoire), tels que Villeurbanne les a mis en place pour avoir une protection plus souple.

Le PLU peut aussi prévoir comme à Villeurbanne un coefficient de pleine terre, éventuellement d’un seul tenant et qualifier le traitement végétal (exigences d’un arbre haute tige pour 50m2, de la présence des 3 strates arbustives, coefficient de biotope pour compléter la pleine terre avec toitures végétalisées, espaces verts sur dalles…)

Pour les constructions, le PLUI donne les règles d’implantation, de gabarit, de couleurs…

La mise en œuvre se fait au travers des autorisations du droit du sol.  Si le PLUI est ouvert à de plus en plus de thématiques, l’instruction des autorisations est généralement de plus en plus limitée dans ses investigations.

La qualité de l’urbanisme opérationnel nécessite une présence sur le terrain pour l’instruction et le contrôle :à Villeurbanne, le service qui a progressivement été redimensionné( de 8 à 13 personnes de 2016 à 2023), s’entoure aussi de différents conseils : paysagiste, coloriste, architecte. Des commissions préalables ont été mises en place réunissant les promoteurs ou bailleur sociaux et leurs architectes, les conseils de la ville ou  le Conseil d’Architecture, Urbanisme Environnement (CAUE).

Concernant la biodiversité par exemple, il est notamment demandé : une étude phytosanitaire des arbres par l’ONF pour les préserver autant que possible, d’optimiser les parkings au profit de la pleine terre, 40cm de terre sur les dalles végétalisées, des jardins de pluie, des noues, des clôtures avec passage pour la petite faune, un emplacement pour compost collectif….

Les commissions sont très chronophages et beaucoup de temps est passé sur le seul sujet du gabarit de l’immeuble; d’où la création d’une phase complémentaire, le cadrage urbain préalable, qui permet d’intégrer  très en amont la qualité au projet, et aboutit souvent à revoir à la baisse les m2 à construire que le promoteur ou bailleur aurait pu proposer (et par conséquent à réguler les prix d’achat de terrain).

Q Vous nous présentez le Paradis, on vit exactement l’inverse à Villejuif ou à Saint-Maur, comment reproduire cette démarche? Vous arrivez à une cohésion permanente entre service de la ville et élus? Quand vous « taillez » les projets des promoteurs, est-ce que cela peut amener du contentieux ?

Il faut une volonté politique et un alignement de la chaîne hiérarchique, et aussi des agents, sans lesquels le fonctionnement décrit ne pourrait être mis en place.Si des promoteurs vont voir des élus,ceux-ci se réfèrent désormais presque toujours aux décisions des commissions préalables.

De façon générale, les promoteurs ne nous attaquent pas, ils reconnaissent le caractère d’intérêt général de notre action, et la commune reste attractive pour eux. Par ailleurs, les articles « qualitatifs » du PLU nous offrent des points d’appui (d’ailleurs, le simple suivi des règles quantitatives amènerait, en additionnant les projets, à beaucoup dépasser la cible globale de logements prévus).

Mais tout ceci concerne le « diffus », nous faisons quelques fois moins bien dans les ZAC, où des choses sont autorisées qui ne le seraient pas dans le diffus en termes de densité.

Q On peut mettre du qualitatif dans le PLU, mais est-ce dans le règlement écrit ou dans les OAP? Dans le règlement, on ne peut indiquer que des objectifs exprimés de façon précise et vérifiable, donc pour le qualitatif comment faîtes-vous?

On met de préférence le qualitatif dans le règlement qui a l’avantage de requérir de la conformité, et ensuite dans les OAP, qui ne requièrent que de la compatibilité moins contraignante. « L’urbanisme négocié » dans le cadre des commissions et l’aide de nos conseils (architecte conseil, coloriste conseil, paysagiste conseil) permettent de compléter le dispositif. Le Schéma de Cohérence Territoriale (SCOT)avec lequel le PLUI doit être compatible a aussi l’avantage d’être précis et descriptif.

Q Quid du respect du code de l’environnement par les décisions d’urbanisme? Le coefficient de biotope de surface est généralement permissif, et manque de référence.  Il n’y a pas d’indicateur« objectif cible » pour l’accueil de biodiversité dans le bâti. Quelle amélioration? Pourquoi pas un écologue conseil? Avez-vous des pourcentages de mur végétalisé dans votre PLU?

L’instruction des permis de construire est de plus en plus « aseptisée », et de fait les législations sont en partie étanches…

Vous avez raison, la biodiversité se rapporte à la terre mais aussi aux bâtiments, et ceci pourrait être mis en œuvre si on a des éléments de diagnostic dans le PLU, ou des orientations politiques dans le PADD. Je dois dire qu’avec notre urbanisme historiquement porteur d’une assez grande densité, nous n’avons pas encore atteint le stade de l’écologue conseil !

Nous n’avons pas d’objectif de murs végétalisés, cela n’a pas été anticipé. On note aujourd’hui des problèmes de gestion de ces murs et toitures, par exemple avec le manque d’eaux pluviales.

Q A Saint-Maur, un arbre quadri centenaire était mis en danger par un projet, sans réaction de la mairie et un PLU insuffisamment protecteur (on peut construite à 5 puis 10 m de l’arbre, mais les racines peuvent aller bien au-delà), avez-vous des dispositions sur ces sujets?

Nous protégeons le système racinaire jusqu’au droit du houppier de l’arbre. Nous allons sur les chantiers pour vérifier ce point et systématiquement, il faut demander des changements, voire parfois menacer de faire arrêter le chantier et faire payer des amendes. Parfois,des arbres qui devaient être préservés ont disparu après chantier, et nous demandons alors des replantations conséquentes d’arbres matures. Le promoteur doit présenter en amont ses mesures de protection, et en aval nous demandons un contrat d’entretien de deux ans sur les nouvelles plantations.

L’exemple de Villeurbanne témoigne de pratiques vertueuses développées au service de fortes ambitions pour un urbanisme de qualité. Règlement du PLUI détaillé et intégrant le qualitatif, bon(re)dimensionnement du service de l’urbanisme, formation des agents et des élus, présence sur le terrain en amont et en aval des projets, appui de conseils (urbanisme architecture…), du CAUE, sont les clefs pour la réussite des projets. L’urbanisme opérationnel « négocié » dans le cadre des commissions permet d’exiger réellement mais sans dogmatisme, le respect de la biodiversité en plus d’une qualité d’usage et d’une ville belle pour tout le monde.