Jeudi 9 février 2023 : La transition énergétique selon les scénarii ADEME et RTE Avec François Gibert
François Gibert, docteur en sciences économiques, dirigeant d’entreprise, a fondé une société dans l’énergie solaire, et a été tête de liste EELV aux élections municipales à Niort (Deux-Sèvres) en 2020. Il est co-auteur, avec Claude SIMON, du groupe local EELV de St-Maur-des-Fossés, de l'ouvrage « L'écologie contre le capitalisme, ce qu’il faut sauver, ce qu’il faut stopper »éditions Temps Présent.
Le Président de la République décide, sans débat public, d'accélérer la construction de nouveaux EPR, le gouvernement cherche à alléger les démarches administratives pour les construire au plus vite, et la limite à 50% de la part du nucléaire dans la production d'électricité en 2050 est remise en cause.
Pourtant l’Agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie (ADEME) et même le Réseau de transport de l’électricité (RTE) ont élaboré divers scenarii 2050 pour une énergie décarbonée, qui permettent de réduire largement voire supprimer le nucléaire.
François Gibert rappelle qu’en 2015 en France, l’électricité (ne) couvre (que) 25% des besoins énergétiques totaux (dont 73% par le nucléaire), ces besoins étant des besoins en chaleur, en transports, ou « purement électriques » (ex : éclairage, numérique), et qu’il ressort des études RTE comme ADEME un accord sur un constat incontournable :
Quoiqu’on fasse sur le nucléaire, tous les scénarii pour une énergie décarbonée en 2050 impliquent une réduction forte de la consommation d’énergie, donc la sobriété. Transformer tout en électrique pour réduire les consommations fossiles est impossible sans réduction globale de la consommation finale d’énergie. La transition est abrupte dans toutes les hypothèses.
Les scénarii Ademe vont d’une sobriété très forte (division par 2 de la consommation finale) à plus légère (- 25 à - 40%).
RTE dans tous ses scénarii vise une réduction de 40% de la consommation totale d’énergie et plafonne la production électrique à 650TWH. La hauteur de la marche est déclinée :
- Habitat et rénovation: isolation massive des bâtiments au niveau basse consommation(BBC) à un peu moins (RT 2020), réemploi, occupation des logements vacants…
- Alimentation et agriculture: réduction (jusqu’à -50%) de la consommation de viande, développement de la méthanisation, du bois énergie…
- Industrie: réparation, réutilisation, recyclage, low tech, stabilisation de la consommation Data centers…
- Aménagement du territoire: reconquête des villes moyennes, baisse ou arrêt de la consommation de terres agricoles…
- Transport actuellement à 93% fossile: électrification du parc auto, mais aussi baisse de la mobilité en km/an/personne…
Pour produire de l’électricité, le solaire et l’éolien sont indispensables à des niveaux considérables dans tous les cas. Multiplication minimum par 4 de l’éolien et par 7 du solaire photovoltaïque (PV)
Q : Quelle crédibilité de RTE et de l’ADEME ? Ces scénarii tiennent-ils compte de la relocalisation de l’industrie ? de l’évolution du climat ? A terme il reste du gaz, de quoi s‘agit-il ?
Il est intéressant de se baser sur les études d’organismes qu’on ne peut taxer d’antinucléaire. RTE et ADEME ont bien posé le problème. Leurs travaux remontent maintenant à 2 ans, à l’époque l’ADEME était indépendante, mais suite àla publication de ces scénarios le président a été limogé. RTE est le bras droit d’ EDF.
L’énergie importée au travers des biens importés n’est pas prise en compte, ni la relocalisation souhaitée de l’industrie. L’évolution à venir du débit des cours d’eau n’est pas non plus considérée alors qu’elle pourrait limiter le fonctionnement des centrales nucléaires.
Le gaz encore présent en 2050 est du gaz décarboné, issu de la biomasse.
Q ; Les Energies renouvelables (ENR) sont-elles vraiment intermittentes, et donc seulement complémentaires d’énergies pilotables, en particulier du nucléaire ? Comment vont faire les pays qui n’ont pas de solaire comme le Portugal ou l’Espagne ? Que se passe-t-il en Europe ?
L’éolien et le solaire sont intermittents mais peuvent et devront de plus en plus être stockés. C’est déjà fait lorsqu’il y a surplus : stations de transfert d’énergie par pompage (barrages à l’envers), et batteries (qui nécessitent métaux rares). L’hydrogène produit à partir d’ENR est une possibilité mais serait plutôt rentable dans l’industrie.
Le coût de l’éolien et du solaire avec prise en compte du stockage sera toujours inférieur au coût du nucléaire en raison du risque et du coût de stockage des déchets nucléaires.
Il y a aussi des ENR qui ne sont pas intermittentes à développer : hydroliennes avec énergie des marées et courants, centrales au fil de l’eau, biomasse (poêles et chaudières bois, méthanisation..). Le solaire thermique et la géothermie peu pris en compte par RTE et ADEME pourraient également se développer. Les pointes de la demande pourraient être lissées (tarifs heures creuses, comportement…)
Il y a 2 solutions : stocker, ou adapter la consommation (frugalité, lissage horaire de la demande, comportements) à la production (ou à sa distribution, par l’interconnexion des réseaux)
Le Portugal et l’Espagne n’ayant pas de nucléaire sont très en avance sur le stockage. L’Allemagne est en avance sur la sobriété, l’isolation des bâtiments, l’éolien, qui est présent sur chaque colline, mais l’industrie consomme beaucoup. En général en Europe la pente reste « abrupte ».
En France RTE qui n’avait pas intérêt à permettre l’autonomie des usagers a freiné la production locale notamment de centrales hydroélectriques. Or l’autoconsommation a un effet positif sur la sobriété. L’acceptabilité de l’éolien est très difficile. Le nucléaire semble inévitable en transition.
Le scénario RTE, M0 basé sur une suppression totale du nucléaire en 2050, sans exploser l’éolien, nécessite une sobriété maximum qui implique notamment de revoir complètement la mobilité individuelle et le poids des véhicules.
Le scénario privilégié par le gouvernement actuel, peu sobre, est proche du N3 pour la production électrique : relance du nucléaire et développement de l’éolien.
Le scénario M23 de RTE tient la route : forte baisse du nucléaire et développement rapide des ENR : éolien en mer et terrestre, et solaire PV.
La sobriété qui va avec, est une véritable bifurcation, et la politique actuelle n’est pas sur cette pente. Il s’agit d’un changement dans les modes de production et de consommation. L’expérience montre qu’il faut se méfier des technologies nouvelles qui ont souvent des conséquences négatives. La bifurcation ne peut s’obtenir que par des politiques très volontaristes : par exemple, concernant la mobilité, même si le nombre de km/voiture a récemment baissé, il faudrait rendre le trajet voiture plus pénible que les solutions alternatives. Mais faut-il contraindre ? Les villes qui l’ont fait en centre-ville l’ont fait sur 10 à 15 ans en offrant des solutions alternatives enviables. François Gibert insiste, les solutions sont plus sociétales que techniques.
Pour en savoir plus : https://energie.eelv.fr/les-scenarii-energetiques-francais/
besoin électrique 2050
650 TWh /an |
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scenarii RTE : | actuel | M0 | M23 | N2 | N3 |
nucléaire | 330 | 0 | 96 | 234 | 306 |
solaire PV | 10 | 200 | 125 | 90 | 70 |
éolien terrestre | 51 | 210 | 216 | 156 | 129 |
éolien mer | 0 | 186 | 135 | 108 | 66 |
Hydraulique autre | 60 | 60 | 60 | 60 | 60 |
total | 451 | 656 | 632 | 648 | 631 |