Taxer la publicité : une vraie mesure écologique.
Cette contribution a été rédigée par Claude SIMON, Professeur émérite à l’ESCP, membre du groupe local EELV de St-Maur. Elle a été publiée dans la rubrique "Forum et débats" du journal La Croix du 02/03/2020
Le problème écologique auquel notre monde est confronté fait maintenant l’objet d’un large consensus. Le débat porte davantage sur les mesures à adopter pour y remédier. Orienter nos sociétés vers des comportements anti gaspillages et de sobriété constitue une alternative plus politiquement soutenable que celle de la décroissance prônée par certains.
Au tout début du XXème siècle le sociologue T. Veblen alertait déjà sur le « gaspillage ostentatoire », selon lequel les individus s’efforcent d’afficher des consommations ou des comportements, les situant dans une classe sociale supérieure à la leur, au point d’accepter, voire de souhaiter, de payer un bien plus cher que sa vraie valeur. Cet «effet Veblen » est connu et exploité par les publicistes.
Plus récemment, dans son encyclique Laudato Si (§ 55) le pape François dénonce « Les marchés, en cherchant un gain immédiat, stimulent encore plus la demande. Si quelqu’un observait de l’extérieur la société planétaire, il s’étonnerait face à un tel comportement qui semble parfois suicidaire. »
La publicité exploite les comportements révélés par T. Veblen et dénoncés par le pape François. Sa fonction consiste à nous orienter vers toujours plus de surconsommation, de gaspillage, d’acceptation de l’obsolescence, de préférence aux marques, lesquelles incitent à des comportements irrationnels et impulsifs. Elle génère plus de frustrations que de satisfactions. La publicité porte donc une responsabilité importante dans la dérive actuelle du monde et nous conduit vers un avenir de plus en plus incertain pour l’humanité ou une part importante de celle-ci.
En 2018 le marché publicitaire français représentait 33Mds € (source IREP) évoluant de plus en plus rapidement des médias classiques (journaux, télévision,…) vers l’internet pour le plus grand profit des GAFAM (M pour Microsoft) qui arrivent dorénavant en tête des supports publicitaires au point de menacer la survie de la presse papier.
Or si toutes les activités économiques à destination des consommateurs finaux supportent des taxes (principalement la TVA, le plus souvent au taux de 20%), tel n’est pas le cas de la publicité qui, de fait, ne supporte qu’une taxe symbolique de 1% sur une infime partie de la publicité. En effet elle est soumise à la TVA au taux normal de 20% mais celle-ci est récupérée, déduite, de ce que l’entreprise doit reverser au Trésor Public. La publicité est donc, fiscalement, le plus souvent gratuite pour ceux qui la mettent en œuvre et d’un rapport presque nul pour le Trésor Public.
Compte tenu de ses effets néfastes, à la fois écologiques et sociaux, nous proposons la création d’une taxe spécifique sur toutes les formes de publicité. Le taux devrait progresser d’année en année, en commençant par exemple par 10%, pour atteindre des niveaux dissuasifs : 100% (ce qui doublerait le coût de sa mise en œuvre) ou plus. Entre autres intérêts cette taxe permettrait d’obliger les GAFAM à, enfin, contribuer au financement public ; l’argument de pratique discriminatoire ne pouvant plus être retenu. Procurer des ressources nouvelles à l’État sans coût pour le citoyen n’est pas un argument à négliger.
Deux objections peuvent être opposées.
La première réside dans la fonction d’information pour l’acheteur que remplit la publicité. Au-delà du fait que celle-ci prête à discussion, il suffira de permettre aux acheteurs potentiels d’avoir libre accès aux informations. En d’autres termes toute démarche du producteur, ou distributeur, vers le consommateur ou autre client, constitue de la publicité taxable ; inversement toute démarche (consultation sur internet, contact direct avec le concessionnaire, obtention d’un prospectus à l’agence bancaire,...) du consommateur ou autre client potentiel vers le producteur ou distributeur est de l’information non taxable.
La seconde réside dans le manque à gagner, subsistant encore, pour les médias et notamment la presse écrite. Celui-ci pourra être compensé par une subvention fondée sur la diffusion et financée par cette taxe.
La convention citoyenne pour le climat qui travaille actuellement sur les mesures propres à assurer une véritable transition écologique devrait étudier sérieusement cette proposition.
Claude SIMON
Professeur émérite à l’ESCP